Incarnation physique du rideau de fer figuratif, le mur de Berlin constituait la frontière entre l'Est et l'Ouest dans l'Europe de l'après-Seconde Guerre mondiale, interdisant la libre circulation dans la capitale allemande. Cependant, les autorités de l'Allemagne de l'Est, alors connue sous le nom de République démocratique allemande (RDA), avaient une notion différente, se référant à la barrière de béton comme le rempart de protection antifasciste qui protégeait les citoyens des influences fascistes de l'Occident et empêchait le libre arbitre. En réalité, il a fait tout le contraire.

Comment la chute de l'Union soviétique a changé le vin pour toujours

Plus que de l'acier et du béton, c'était la division entre deux mondes, évidente dans les contrastes saisissants de chaque côté jusqu'en 1989. Du côté ouest, de l'art urbain coloré et des graffitis ornaient le mur. Tandis que sur le côté est gris et monotone, dépourvu de créativité et de sentiment, des soldats armés se tenaient comme des statues interdisant le mouvement vers l'autre côté. Il pourrait y avoir peu de meilleures métaphores visuelles de la vie dans chaque moitié de la ville divisée. Les effets allaient bien au-delà des extrémités du mur. La scène viticole de part et d'autre subit le même sort.

Au revoir lenin?

En Allemagne de l'Ouest ouverte à cette époque, l'industrie du vin a évolué, pour le meilleur ou pour le pire, permettant toujours la propriété privée, la créativité et la diversité. Même si des régions viticoles allemandes renommées, telles que Moselle , Palatinat et Rheingau , ont été touchés par la guerre et ont mis quelques décennies à se rétablir, une fois qu'ils l'ont fait, ils ont produit certains des vins légendaires du monde. Le millésime 1971 en Moselle en est un exemple.

'[Aujourd'hui], vous ne trouvez pas vraiment de vieilles caves ici comme vous le faites en Allemagne de l'Ouest', explique Konrad Buddrus de Weingut Buddrus en Saxe-Anhalt du côté est-allemand. C'était un effet direct du manque de caves privées historiques : les bouteilles plus anciennes ont pratiquement disparu de l'Allemagne de l'Est au cours du XXe siècle.

Dans les deux régions de la partie est-allemande - Sachsen (ou Saxe) et Saale-Unstrut - il n'y avait que trois établissements vinicoles, tous des coopératives appartenant au gouvernement. Ils étaient: Association des vignerons Freyburg-Unstrut , qui existe encore aujourd'hui et est une association de 400 producteurs ; Vin mousseux Le Petit Chaperon Rouge , qui se traduit par Little Red Riding Hood Sparkling Wine Cellar, et est une cave qui produit des millions de vins effervescents vendu quelques euros la bouteille dans les supermarchés, important souvent des raisins des pays de l'ex-bloc de l'Est ; et enfin, la cave appartenant à l'état de Saxe-Anhalt appelée Cave provinciale Kloster Pforta , qui a peut-être offert la plus grande gamme de vins des trois.

'Les gens n'étaient pas autorisés à produire du vin en privé', explique Sandro Sperk, vigneron de Domaine viticole Boehme & Daughters , dans la région est-allemande de Saale-Unstrut. « C'était très difficile, car le matériel de vinification et les cuves étaient impossibles à obtenir. Donc, si quelqu'un faisait du vin en privé, c'était dans des ballons de verre, en cachette.

La tragi-comédie allemande primée en 2003, Au revoir lenin! , dresse le tableau général de la différence entre l'Est et l'Ouest. Le film se déroule en 1989, autour des événements juste avant et après la chute du mur de Berlin. L'histoire suit une famille dont la mère, membre fidèle du Parti communiste, tombe dans le coma après avoir vu son fils participer à un rassemblement anticommuniste. Le médecin ordonne qu'elle ne soit exposée à aucun choc, alors le fils et sa sœur prétendent que le mur est toujours en place et que le communisme demeure.

Les six régions font ressortir le meilleur du vin allemand

Entre autres choses, nous voyons des enfants cacher à leur mère des publicités et des publicités qui ont marqué le contraste entre la fin des années 1980 et le début des années 1990, celles faisant la publicité de marques américaines comme Coca-Cola et McDonald's. Bien que les grandes entreprises de l'Ouest ne soient peut-être pas les meilleures représentations de la qualité, ces scènes dépeignent l'oppression des gens du bloc de l'Est et les limites dans lesquelles ils vivaient tout en soulignant l'ironie selon laquelle les Happy Meals standardisés et l'eau sucrée gazeuse fabriquée à grande échelle représentaient la liberté. .

Dans l'industrie du vin, la scène était tout le contraire, ironiquement. Sous le système soviétique, le vin était devenu une marchandise. Le bloc de l'Est n'avait autorisé que des vins comparables à Coca-Cola et McDonald's dans leur homogénéité. Ces coopératives étaient partout en Europe de l'Est à cette époque. Ils n'avaient qu'un seul objectif : la quantité. Leurs vins produits en masse n'offraient ni qualité ni diversité.

Avant la chute du mur, 'les parcelles étaient divisées en plusieurs petits morceaux et confiées à des vignerons amateurs, qui vendaient le raisin aux coopératives', explique Alexandre Dupont de Ligonnès de sa cave éponyme en Saxe.

Les gens cultivaient et plantaient toutes les variétés qu'ils pouvaient obtenir. 'Si vous avez 100 plantes de Müller-Thurgovie , il fallait le planter », explique Sandro Sperk. Le plus souvent, les coopératives ne fabriquaient qu'un seul type de vin, mélangeant de nombreux cépages différents.

Pendant ce temps, tous les vins de qualité produits allaient aux politiciens et aux «amis du gouvernement». Les vrais producteurs ne pouvaient pas acheter de vin. Cependant, ils ont reçu une compensation en bouteilles de vin. Certains fabriquaient du vin en secret, en le vendant illégalement ou en l'utilisant pour payer d'autres biens et services. Dès lors, le vin devient une seconde monnaie et les anciennes méthodes sont conservées.

«Je connais des histoires de gars plus âgés selon lesquels ils produisaient leur propre vin et le vendaient au marché noir ou l'échangeaient contre d'autres choses», explique Konni Buddrus.

Presque anéantie

Cependant, les grandes coopératives n'étaient pas purement des produits de la R.D.A. mais était venu plus tôt. Le Rotkäppchen a été formé en 1856, tandis que Winzervereinigung Freyburg-Unstrut a été fondé par les nazis en 1934. Les troubles pour les régions de Sachsen et Saale-Unstrut ont commencé bien avant. Premièrement, il y a des limites géographiques.

«Le 51e parallèle est considéré comme la frontière nord de la viticulture», explique le Dr Daniel Deckers, historien et écrivain du vin, ainsi que rédacteur en chef de la section politique du Frankfurter Allgemeine Zeitung , grand quotidien allemand. « Il y a de l'histoire, et il y a des cartes, et vous pouvez voir quelles parcelles ont été plantées au milieu du XIXe siècle, mais c'était un bière pays. Des vins fins étaient importés d'autres régions.

Outre les vignes qui ont du mal à survivre aux hivers rigoureux, les régions d'Allemagne de l'Est ont connu une première moitié du XXe siècle très difficile. Phylloxéra est venu au début, suivi de la Première Guerre mondiale. Ensuite, les nazis ont pris le relais, suivis de la Seconde Guerre mondiale, puis enfin, lorsque la R.D.A. formé en 1949, il a presque anéanti ce qui restait, effaçant essentiellement la culture du vin et l'histoire viticole de ces deux régions. 'Avec ses expropriations à grande échelle et les arrestations arbitraires par les occupants soviétiques, il a détruit des structures qui avaient été minutieusement construites', explique le Dr Deckers.

Pour le propriétaire du Weingut Schloss Proschwitz, le Dr Georg Prinz zur Lippe, le G.D.R. martelé le dernier clou dans le cercueil de l'implication de sa famille dans la vinification à cette époque. Le premier clou était venu lorsque le gouvernement nazi a confisqué le château familial de Proschwitz en 1943.

'C'était en fait pire que des expropriations car nous n'avions pas la preuve que nous en étions propriétaires', explique Lippe. 'Puis en 1949, les communistes allemands ont emprisonné mon père, ont tout pris sans aucune compensation, et plus tard ont expulsé ma famille vers l'Allemagne de l'Ouest.'

La famille Lippe est l'une des plus anciennes familles aristocratiques de Allemagne , et en raison de leur richesse et d'un pourcentage de sang juif, ils étaient les ennemis des gouvernements fascistes et communistes. 'Mon père avait cinq diplômes, et les communistes les ont tous brûlés devant lui et lui ont dit que cela prendrait beaucoup de temps avant qu'il puisse prouver qu'il existe même en tant qu'être humain.' L'héritage de la famille Lippe a été effacé, mais pas oublié. Leur château est resté, mais leurs vignobles ont cessé d'exister.

La plupart des vignobles nobles sont restés en jachère pendant cette période. Comme les meilleurs vignobles sont souvent en coteaux, et dans le cas de l'Allemagne de l'Est, en terrasses, il est difficile d'utiliser les machines nécessaires à la production de masse. Comme il n'y avait pas de concurrence et que les gens vendaient simplement leurs raisins aux coopératives, il était plus logique pour eux de travailler moins et d'obtenir plus. De plus, la plupart des viticulteurs avaient d'autres emplois et s'occupaient de leurs vignobles le week-end. Par conséquent, la viticulture, pour la plupart, s'est déplacée vers des terres plates.

Avenir dans les airs

Mais ensuite, les choses ont commencé à changer. Les problèmes économiques croissants au sein du bloc de l'Est et l'échec de l'URSS à intervenir auprès de ses États fantoches ont conduit au relâchement des régimes du rideau de fer vers la fin des années 1980. Cela a incité les États-Unis d'alors. Le président Ronald Reagan, debout près de la barrière de béton gardée à Berlin, pour crier tristement : « M. Gorbatchev, abattez ce mur !

Cette ligne du discours de Reagan de 1987 a insufflé de l'espoir à de nombreux citoyens du bloc de l'Est, mais surtout en R.D.A. C'était peut-être le dernier coup de pouce pour de nombreux jeunes qui voulaient désespérément voir le mur démoli. Comme le dit « Wind of Change », la chanson de 1990 du groupe ouest-allemand The Scorpions : « The future [was] in the air ».

C'est l'année précédente que le beau-père de Sandro Sperk et fondateur de Böhme & Töchter, Frank, a planté ses premiers vignobles avec son père, Werner. 'Ils l'ont fait sans aucun soutien ni subvention du gouvernement', explique Sperk. C'était un effort privé, qui a finalement conduit à la fondation de la cave 11 ans plus tard.

La viticulture en Allemagne de l'Est a connu sa renaissance dans les années 1980. « C'est grâce aux jeunes de l'époque, qui étaient motivés et n'avaient pas peur d'aller sur les anciens sites viticoles [renommés] et de les replanter », explique de Ligonnès.

Le mur de Berlin est tombé le 9 novembre 1989, ouvrant les portes entre l'Est et l'Ouest. De plus, il a réunifié l'Allemagne. Pour l'industrie viticole des régions orientales de Sachsen et Saale-Unstrut, les caves privées pourraient revenir. Cependant, cela n'allait pas se faire du jour au lendemain.

« En 1990, mon père, qui avait plus de 80 ans, était nostalgique et il m'a demandé de l'aider à rentrer en Saxe », raconte Georg Prinz zur Lippe. 'J'étais PDG d'une entreprise japonaise en Allemagne de l'Ouest, mais j'ai décidé de prendre deux semaines de congé pour aider mon père à retrouver sa maison.'

Il signe les premiers contrats de rachat en 1990 et entreprend de reconstruire le domaine pièce par pièce. La famille a plus de 500 contrats de rachat, bien qu'elle ait racheté la plupart des terres au gouvernement allemand. Ils ont racheté leur château, Château de Proschwitz , qui représente le plus ancien et le plus grand domaine privé de Saxe. Aujourd'hui, l'ensemble de leur domaine s'étend sur plus de 100 hectares (250 acres) de vignes.

La famille Lippe a une histoire unique, mais la plupart des producteurs de Saxe et de Saale-Unstrut sont aujourd'hui nouveaux, dont certains viennent également d'autres parties du monde. Alexandre Dupont de Ligonnès est né en France, par exemple, et n'a commencé à faire du vin qu'en 2016. Il a eu la chance de trouver quelques vieilles vignes préservées grâce aux efforts de quelques personnes pendant la R.D.G. ère. La plupart des vignobles de la région ont aujourd'hui au plus 40 ans.

Un autre domaine remarquable est Cave Klaus Zimmerling , du nom de son propriétaire, qui était ingénieur en mécanique et a commencé à faire du vin comme passe-temps en 1987. En mai 1990, après la chute du mur de Berlin, il est allé à L'Autriche travailler dans le célèbre Nikolaïhof cave à Wachau . Il y a commencé comme cuisinier mais a acquis l'expérience nécessaire pour démarrer sa propre cave en 1992.

Un autre exemple est le susmentionné Weingut Buddrus, fondé en 2016. 'Mon beau-frère m'a envoyé un lien eBay vers une annonce pour un vignoble à vendre et m'a demandé si je serais intéressé', explique Konni Buddrus. 'Nous avons commencé avec 3 000 mètres carrés (0,74 acres) plantés de Silvaner.' Aujourd'hui, ils ont 4 hectares (près de 10 acres).

La surface de vignes est très limitée aussi bien en Saale-Unstrut qu'en Sachsen. Il y a environ 800 hectares (un peu moins de 2 000 acres) de vignes à Saale-Unstrut. La plupart des vignes ici sont cultivées en coque sols calcaires , ainsi que des marnes et grès . En raison de la rigueur des hivers et de la brièveté de la saison de croissance, les variétés à maturation tardive ne sont généralement pas cultivées avec succès. En conséquence, Müller-Thurgau, Weissburgunder (Pinot Blanc), Sylvaner et Portugieser sont les plus populaires.

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En Saxe, la superficie du vignoble est encore plus petite. Il n'y a qu'environ 500 hectares (1 250 acres) de vignobles cultivés principalement sur le granit. Cependant, le temps est légèrement plus agréable et les printemps ont tendance à arriver plus tôt, ce qui permet certaines variétés à maturation tardive, comme Riesling , pour grandir avec succès ici. Pourtant, le Müller-Thurgau est populaire, avec Weissburgunder, Kerner , Gewurztraminer , et Scheurèbe .

Les deux régions ont une longue tradition viticole remontant au moins au XIe siècle. L'âge d'or a eu lieu aux XVIe et XVIIe siècles, mais à cause des événements des XIXe et XXe siècles, la vinification a presque cessé d'exister. Le mur de Berlin, qui était la barrière, est devenu ironiquement le pont reliant le passé, le présent et l'avenir.

Cet article a été initialement publié dans le numéro de mai 2023 de Passionné de vin magazine. Cliquez sur ici pour vous inscrire aujourd'hui !